Argumentaire

Résumé 

L’essor des procédures inquisitoires, des cours souveraines et des moyens coercitifs ont établi les XIIIe- XVIIIe siècles comme une époque de maturation des justices autoritaires et des rouages de l’État justicier. Néanmoins, les sources attestent aussi la fragilité de ce processus, ainsi que l’intensité des oppositions qu’il rencontre. A l’occasion d’un colloque international qui aura lieu à Bordeaux les 12-14 décembre 2011, nous proposons de revoir la place de l’histoire de la justice, en particulier les triomphes apparents de la procédure inquisitoire et de l’enquête judiciaire, dans la genèse de l’État moderne. Nous appelons donc à contribution les travaux susceptibles de renseigner les mises à l’épreuve de la justice, saisie dans sa genèse médiévale et moderne.

Appel à communication

Les évasions des geôles, les agressions de sergents, les défauts de présentation, les justiciables en fuite, les magistrats insultés, les émeutiers se dressant contre l’administration des peines et les couples s’opposant aux juges ecclésiastiques sont autant de cas concrets et visibles d’une résistance oscillant entre insoumission et opposition à la volonté des juges, ou à la bonne exécution des décisions de justice. Mais on ne peut ni s’arrêter au seul recensement de ces faits, individuels ou collectifs, ni les considérer comme de simples obstacles ponctuels ou particuliers puisque l’histoire de l’État justicier se nourrit des résistances qu’elle rencontre. A la lumière de l’historiographie récente, mais également de l’analyse résistancielle issue des sciences sociales, nous invitons à considérer l’histoire judiciaire non par des résistances (Foucault) mais par les résistances et ce, en terme de pratiques. Au-delà de l’institutionnalisation de la justice d’État moderne, le comportement des acteurs nécessite en effet une observation soutenue. Une typologie des stratégies de résistance, défensives (stratégie d’évitement ou conflit frontal), offensives (refus, contestation et proposition alternative) ou intégratives (adaptation opportuniste, acculturation) est-elle détectable ? La coopération et l’intégration des justiciables et des sujets peut-elle aussi adopter la voie de l’opposition à l’ordre judiciaire issu des prétoires ? L’attitude et la réception de ces agitations par les pouvoirs justiciers est également à observer : est-elle rejetée, tolérée, exploitée, voire instrumentalisée ?

Il paraît également nécessaire de s’interroger sur les causes et les modalités de ce qui entrave le passage de l’accusatoire à l’inquisitoire, souvent inachevé au début de la Renaissance et que de nombreuses recherches constatent régionalement. Les résistances sont certes l’œuvre des gens ordinaires mais aussi des juges eux-mêmes y compris contre leurs pairs, des officiers royaux, des élites seigneuriales ou urbaines, pour des crimes graves comme pour des affaires jugées au civil, à toutes les instances (villes, corporation, état princier, royal, etc.). Elles peuvent se déployer entre justiciables et représentants de l’ordre judiciaire, entre des cours mises en concurrence à l’initiative des parties (nomadisme judiciaire), émaner de la volonté des autorités pour imposer une souveraineté juridictionnelle (monopole revendiqué de la connaissance des causes, supériorité affirmée d’une procédure sur une autre, …). Ces résistances, sous toutes les formes qu’elles empruntent, et dont il faudra étayer l’énonciation dans les sources, ont aussi contribué, par la voie de l’affrontement, de la sanction ou de la négociation, à l’essor d’une justice saisie dans une vision dynamique de sa genèse moderne, en Europe, entre les XIIIe et XVIIIe siècles.

BnF, Français 273, fol. 111v, Tite Live, Ab urbe condita (trad. Pierre Bersuire).

Vers 1475 , Jean Bourdichon.

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